La Société Royale de Chimie : son Histoire

Les associations professionnelles et sociétés savantes abondent en Belgique. La Société Royale de Chimie (SRC) en est une, active depuis plus d'un siècle dans une multitude de domaines qui impliquent la chimie.

Cent quinze ans et des projets "plein la tête" : ainsi pourrait-on décrire la SRC, qui promeut les efforts de recherche et la diffusion des connaissances en chimie par l'organisation de manifestations tant en Belgique qu’à l'étranger. Elle s'emploie à redorer le blason de la chimie, trop souvent associée à la pollution; s'implique dans tous les domaines où elle se promet d'oeuvrer au progrès humain, tant dans ses aspects matériels - industrie, biotechnologies, pharmacie, etc.-, que dans ses aspects plus politiques et sociaux d'intégration européenne, défense de la profession, diffusion et enseignement des sciences chimiques, soutien de la recherche, ..

Des membres de la SRC affichent à leur palmarès des distinctions importantes émanant d'institutions aussi renommées que l'Académie royale de Belgique, l'Institut de France, la Fondation Francqui et le Comité Nobel. Le sérieux dont elle témoigne lui vaut le soutien de nombreux laboratoires et entreprises, du FNRS, de la Fédération des Industries Chimiques de Belgique et des pouvoirs publics.

A travers la consultation d’archives, de livres, de journaux, de périodiques et de notes personnelles du Docteur Arthur Weerens, ancien Président de la SRC, nous avons reconstitué son histoire, riche d'activités passionnantes. Nous vous convions à sa découverte. Signalons qu'un numéro spécial de Chimie Nouvelle a été consacré à l'histoire de la SRC [17, n°68 (1999)]

D’intérêts "ciblés" à une démarche polyvalente

Le 14 avril 1887 au premier étage de la Brasserie belge, place de la Bourse à Bruxelles, une vingtaine de chimistes fondent l'Association Générale des Chimistes Belges (qui deviendra très rapidement l'Association Belge des Chimistes). Majoritairement issus de l'industrie sucrière, ils veulent optimaliser la méthode d'analyse commerciale des betteraves pour résister à la concurrence étrangère. La teneur en sucre du légume - base du payement - divise en effet agriculteurs et industriels, celle-ci variant selon la méthode d'analyse. Cette "origine sucrière" provient de ce qu'alors "dans la presque totalité de nos usines, le chimiste n'existait pas (...). Dans plusieurs d'entre elles, un ouvrier (ou un manoeuvre) non spécialisé effectuait systématiquement quelques titragestandis que "la sucrerie était déjà organisée sur des bases scientifiques. Ayant compris très tôt les services que la chimie lui rendait, elle faisait un appel constant à l'analyse pour le contrôle de son travail". C'était, du moins, l'opinion du Président Edouard Hanuise lorsqu'il s'exprima au vingt-cinquième anniversaire de la société.

Très tôt, celui-ci exprime le souhait de voir l'Association s'intéresser à toute question en rapport avec l'analyse et le travail industriel, un élargissement que les statuts évoquent déjà. Elle s'efforcera donc de réunir théoriciens et praticiens de l'industrie, et se diversifie en divisions spécialisées : sucrerie, denrées alimentaires et hygiène publique, chimie agricole et industrie de fermentation. En 1888, elle nomme Jean Stas membre d'honneur, ce qui témoigne de ce que "Malgré l'orientation technique que les fondateurs voulaient donner à la jeune société, celle-ci reconnaissait la haute influence exercée par les travaux théoriques sur le degré d'avancement des sciences." Cette bonne entente se renforce lors de la création de la Fédération des Industries Chimiques de Belgique en 1921, avec qui pendant plusieurs années elle publiera un périodique -Le Bulletin - qui se scinde en 1930 en Bulletin de la Société Chimique de Belgique et L'Industrie Chimique Belge.

Sous l'impulsion du Professeur de Koninck, des sections locales redoublant d'activité remplacent en 1898 à Bruxelles, Liège, Charleroi, Mons, Anvers, Gand et Gembloux les divisions spécialisées, qui étaient désertées en raison du handicap que le manque de mobilité représentait à l'époque.

Une renommée internationale

L'Association Belge des Chimistes connaît un succès retentissant hors frontière lorsqu'elle organise à Bruxelles et Anvers le premier Congrès International de Chimie Appliquée en 1894 qui réunit 397 participants - un exploit en une époque sans fax et sans courrier électronique. Douze gouvernements envoient des délégués d'aussi loin que de Russie, Roumanie, Etats-Unis, Argentine, Ile Maurice, Chine, Japon, Java, etc. Vingt-huit facultés, académies et associations y mandatent des représentants. Cette manifestation inaugure une longue série de congrès biennaux internationaux à Paris, Vienne, Berlin, Rome, New York, Londres...

L'association devient en 1904 Société Chimique de Belgique (SCB), pour mieux affirmer le caractère de ses activités et s'ouvrir ainsi aux chimistes de toutes tendances. Le vingt-cinquième anniversaire de la Société (1912) occasionne des manifestations prestigieuses, de nombreuses communications scientifiques et une réception à l'Hôtel de Ville de Bruxelles. Cette même année, la SCB entreprend de publier les oeuvres de feu Walthère Spring, et édite un numéro jubilaire reprenant une vingtaine de mémoires originaux présentés par ses membres. Enfin, elle adhère à l'Association Internationale des Sociétés Chimiques (dissoute en 1919, celle-ci renaîtra sous le nom d'Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée - IUPAC). Elle rend encore hommage en 1913 à Ernest Solvay, qui l'aidera à recouvrer la santé financière en 1918. La première guerre mondiale entrainera la mise en sommeil de la SCB. Plusieurs membres de son Comité Central moururent aux champs d'honneur.

Ses membres continuent à se distinguer après la guerre : l' IUPAC charge le Professeur Jean Timmermans de concevoir et diriger le Bureau des Etalons Physico-chimiques, qui étudie les produits purs, détermine leurs constantes et approvisionne les laboratoires.

Reprenant ses réunions d'été en province en 1923, la Société multiplie conférences et visites : Cristalleries du Val Saint Lambert, Raffineries tirlemontoises, Ecole des Mines à Mons, etc. La création en 1928 du Fonds National de la Recherche Scientifique annonce de nouvelles forces : les laboratoires pourront désormais enrichir leur équipement et engager de jeunes chercheurs. Aujourd'hui, le FNRS contribue financièrement et régulièrement à la réussite de congrès et de conférences de la Société Royale de Chimie.

La SCB participe à plusieurs éditions du Congrès National des Sciences dans les années trente. Ses représentants interviennent dans diverses manifestations en Belgique et à l'étranger, pour célébrer l'anniversaire de sociétés chimiques ou rendre hommage à des savants. Elle institue le Prix Walthère Spring et le Prix Van Laer attribués pour la première fois en 1938. Autre initiative sympathique : son Président Jules Wauters constitue dans les années trente un fonds "qui permet d'attribuer tous les ans une certaine somme à un étudiant non fortuné ayant terminé ses études dans l'année; cette somme devant être consacrée à l'achat de livres de chimie".

Un brillant anniversaire

En 1937, le cinquantième anniversaire de la Société est un grand succès. En présence de nombreux délégués de sociétés savantes et d'institutions étrangères se tient une séance solennelle au Palais des Académies, où l'on évoque l'histoire et l'évolution scientifique de l'organisme. A l'Hôtel de Ville, le bourgmestre Adolphe Max ne dissimule pas son admiration : "Les recherches de Jean Servais Stas, les découvertes de Louis Donny, les travaux de Louis Melsens, de Louis Henry, l'explorateur de l'empire du carbone, d'Ernest Solvay, de Théodore Swarts, de Walthère Spring (...) démontrent à suffisance la part revenant aux savants belges dans les progrès des sciences chimiques".

Cette année-là, onze chimistes étrangers renommés rejoignent les membres d'honneur. En 1939, la Société se scinde et donne naissance à la Vlaamse Chemische Vereniging (VCV).

La deuxième guerre décime à nouveau ses membres et impose son inactivité. Plus aucun prix n'est attribué, mais le Bulletin de la Société Chimique de Belgique continue à paraître malgré les tracasseries : lourdes démarches pour obtenir du papier, imposition d'insérer des annonces indésirables. La Société contourne cette dernière obligation en supprimant les pages publicitaires, et en remplissant la dernière page de couverture de Recommandations aux auteurs. Lorsque l'ULB ferme en 1941, la bibliothèque de la SCB trouve refuge au Musée du Cinquantenaire. Mais en ces temps difficiles, étonnamment, le nombre d'adhérents croît.

La "ruée" vers le savoir

La raison reprend ses droits, le Comité Central se réunissant à nouveau fin 1944. L'année suivante, la Société fusionne sa publication avec celle de la VCV, pour donner le Bulletin des Sociétés Chimiques de Belgique. A Liège, la réunion de 1946 est une "fête du savoir" où d'éminentes personnalités s'expriment entre autres sujets sur le théorème de Nernst, le futur de l'analyse spectrale quantitative, les catalyseurs fluides, la substitution mutuelle des halogènes dans les composés minéraux.

Un renouveau international se manifeste aussi à la fin de la décennie : un colloque de l'Union Internationale de Physique se tient à Bruxelles, de même que le XXIème Congrès de la Société de Chimie Industrielle de Paris; des Journées Internationales et une exposition de chimie pure et appliquée ont lieu à Charleroi. Mais la Société Chimique de Belgique concentre aussi ses efforts sur le Bulletin, pour porter le flambeau des universités, et offrir à la chimie belge l'outil de diffusion qu'elle mérite. En fondant les Prix Crismer-Peny et Chavanne-Pinkus, attribués pour la première fois en 1948, elle affirme sa volonté constante d'encourager l'effort de jeunes chercheurs.

Témoins encore de la renaissance, les nombreuses visites et conférences, mais aussi la décision en 1949 d'enrichir les Assemblées Générales d'un symposium auquel collaboreront des savants étrangers, et d'organiser les Journées Scientifiques d'Automne. Toutes ces activités drainent un vaste public, tant académique qu'industriel.

Au coeur de l'humanitaire et de l'Europe

Les thèmes des symposia sont souvent techniques, mais la SCB n'hésite pas non plus à ancrer sa réflexion au coeur de problèmes contemporains, humanitaires et de politique scientifique. Traitant des Laboratoires au service de l'humanité, le symposium de 1955 évoque notamment l'usage pacifique de l'énergie nucléaire et la lutte contre les maladies infectieuses. En 1956, il sera question de La recherche scientifique dans la lutte contre le cancer. Une association concrétisera bientôt le souhait de l'Assemblée de créer un organisme activant la recherche en chimiothérapie. En 1959, elle organise avec les sociétés savantes soeurs flamande et néerlandaise un symposium sur la pollution de l'air et des eaux. On le voit, la chimie est loin d'être une "science de calamités" . Egalement intéressée par l'Europe, la Société tient en 1958 une séance d'information sur La recherche face au Marché Commun. Le sujet passionne tant que la Salle de la Rotonde du Palais des Beaux-Arts ne peut contenir le très vaste public. La SCB adhère dans les années septante à la FECS (Federation of European Chemical Societies) que Florent Martin, alors Président, contribua activement à créer.

Cette activité fébrile des années cinquante se traduit par la croissance du nombre d'adhérents, et par l'essor des sections locales (qui attribuent de nouveaux prix et organisent une cinquantaine de conférences en 1958 et 1959). La bibliothèque s'enrichit, des membres protecteurs se manifestent, la Société participe à des congrès en Belgique et à l'étranger, au centenaire de la Société Chimique de France. Avec la VCV, elle organise des Journée des Jeunes, où elle informe les élèves du secondaire des perspectives professionnelles en chimie; elle étudie les interactions entre l'enseignement universitaire et la recherche industrielle.

Université et industrie : une belle entente

L'étroite collaboration entre les milieux universitaire et industriel est constante : la SCB bénéficie régulièrement du soutien de la Fédération des Industries Chimiques de Belgique (Fedichem), qui par ailleurs décerne des prix aux membres de la SCB et met ses locaux à la disposition de ses Assemblées Générales et d'un secrétariat; elles éditent des publications communes. Des entreprises opèrent comme membres protecteurs de la Société, parrainent des manifestations.

La Société Belge pour l'Etude du Pétrole s'investit aussi dans les Journées d'Automne de 1966. Les bonnes relations université-industrie se perçoivent encore dans les présidences de la SRC, alternativement confiées à un universitaire et un industriel.

Pour une collaboration entre les acteurs de la recherche

Préoccupation toujours d'actualité : la participation étatique à la recherche. Lors d'un colloque sur L'Etat et la recherche chimique industrielle en 1964, on compare la gestion des organismes chargés de la politique scientifique et industrielle en Belgique, France, Allemagne et aux Pays-Bas. Les suggestions pour améliorer la situation en Belgique abondent. On recommande que l'Etat octroie des contrats de recherche, et qu'il exonère fiscalement les dépenses consacrées à ce domaine. Pour stimuler les rapports bilatéraux entre le monde académique et l'industrie, l'on suggère des échanges de personnel, et des contrats de recherche soutenus par l'industrie.

En 1983, un colloque remarqué traite de La recherche universitaire, la recherche industrielle, les pouvoirs publics : une collaboration possible. L'on y suggère d'adopter ou de renforcer certaines "pistes" : collaboration entre universités et PME, entre industrie pharmaceutique et Facultés de médecine, apport des subsides étatiques et accélération des procédures, stimuler des coopérations triangulaires entre l'Etat, l'université et l'industrie, etc.

La consécration du savoir

Forte d'une volonté constante d'encourager le savoir, la Société crée et réorganise de nombreuses Divisions dans les dernières décennies (notamment de cinéma scientifique dans les années soixante, de chimie médicinale, organique, analytique, de polymères, etc.). Elle réadapte également les prix fondés dans l'après-guerre. Dans son souci de stimuler les jeunes, la Société institue en 1967 un Prix Annuel pour les meilleurs travaux de fin d'études.

Fondé en 1983 par Arthur Weerens qui présidait alors la SCB, notre magazine Chimie Nouvelle permet en outre aux chercheurs belges de diffuser leurs études dans des articles de revue. Quant au Bulletin des Sociétés Chimiques de Belgique, il a disparu en 1998 pour s'intégrer à trois revues européennes de très haut niveau : Chemistry, a European Journal, l'European Journal of Organic Chemistry (EJOC) et l'European Journal of Inorganic Chemistry (EJIC).

1987 : une alerte centenaire

De superbes festivités couronnent le centenaire de la SCB qui deviendra à cette occasion la Société Royale de Chimie (SRC) : séance d'hommage au Palais des Académies, conférences de deux Prix Nobel belges (les Professeurs Prigogine et de Duve), présentation d'une centaine de communications, frappe d'une médaille, allocutions de représentants de la VCV, de la FECS et de la FIC, du professeur Jean-Marie Lehn récemment consacré Prix Nobel, prestigieuse FECS Lecture par le Professeur F. Calderazzo (Université de Pise), etc.

IChC'99 : le monde fête la chimie

A l'initiative de l'American Chemical Society, de nombreuses sociétés chimiques ont décidé de célébrer en 1999 une Année Internationale de la Chimie (International Chemistry Celebration ou IChC'99). Très impliquée dans cette initiative pour valoriser l'image de la discipline auprès du grand public et surtout des jeunes, la Société Royale de Chimie a réuni en un Comité de Coordination IChC'99 les représentants des universités, associations et industries actives dans le domaine de la chimie. Elle a obtenu le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Albert II pour IChC'99.

Les 22, 23 et 24 avril 1999, a eu lieu L'International Chemistry Celebration - Belgium 1999, réunissant la Société Royale de Chimie et la Koninklijke Vlaamse Chemische Vereniging. Après une journée consacrée aux travaux des jeunes doctorants des neuf universités du pays, les deux sociétés ont tenu le 23 une séance académique de prestige commune. Des orateurs de renom y sont intervenus : Edel Wasserman (le Président de l'American Chemical Society), le Professeur Christian de Duve (lauréat du Prix Nobel de Médecine en 1974), le Professeur Marc Van Montagu (Université de Gand, lauréat du Japan Prize en 1998), le Dr Paul Janssen (fondateur de la Janssen Pharmaceutica) et le Professeur Alan Heeger (Morton Science Institute, Bekerley). Le Prince Philippe a honoré de sa présence cette manifestation de très haut niveau scientifique. Le 24 avril a eu lieu une Journée Portes Ouvertes dans les laboratoires de chimie des universités francophones.